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Par Ariane Lavrilleux – Le Point

ANALYSE. La conférence de presse des présidents égyptien et français s’est crispée après les remarques d’Emmanuel Macron sur les droits de l’homme.

Jamais l’ancien chef des renseignements militaires, devenu président de l’Égypte en 2014, n’avait à ce point haussé le ton lors d’une conférence de presse avec un homologue. « L’Égypte ne compte pas sur ses blogueurs pour ses réformes économiques et religieuses, mais sur sa persévérance », a-t-il rétorqué au chef de l’État français qui lui a reproché les « emprisonnements de journalistes et de blogueurs » qui « n’allaient pas dans la bonne direction » et pouvaient « abîmer l’image de l’Égypte ».

Selon les ONG locales, 60 000 opposants et critiques du régime sont détenus dans les prisons égyptiennes. Alors qu’Abdel Fattah al-Sissi a été élu avec 97 % des voix au printemps dernier sans concurrent face à lui, la répression s’est encore élargie depuis. Des dizaines de journalistes, d’avocats et même des humoristes ont été arrêtés et de nouvelles lois contre les « fausses nouvelles » et la cybercriminalité instaurent de fait une censure permanente.

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« La stabilité passe par la société civile »

Jusqu’à présent, la diplomatie française avait toujours privilégié les critiques feutrées, derrière des portes closes. En octobre 2017, le chef de l’État avait déclaré « ne pas vouloir donner de leçons » au président égyptien en visite à Paris. Mais la pression accentuée des ONG et d’une partie de l’opinion publique française ainsi que l’absence de résultats concrets l’ont poussé, cette fois, à affirmer au Caire que « la véritable stabilité passe par la vitalité de la société civile ». À travers ces mots, Emmanuel Macron ne s’est pas contenté de crisper son homologue, il a repris pour la première fois les arguments développés par plusieurs chercheurs spécialistes du Moyen-Orient (à l’instar de Jean-Pierre Filiu) qui analysent la paranoïa du régime comme un signe d’instabilité.

Face à un président égyptien les mains croisées et le sourire figé, Emmanuel Macron a plaidé pour une réforme de la loi qui place les ONG sous le contrôle de l’État, ainsi que la levée du blocage de 500 sites web. Une liste de « cas particuliers » de détenus « ne présentant pas de risque d’instabilité » a également été remise en privé, sans que les noms soient révélés.

« J’ai été élu, je ne suis là que par la volonté du peuple et, si les Égyptiens ne veulent plus de moi, je partirai », a plusieurs fois répété le président égyptien, agacé par les questions de journalistes français l’obligeant à se justifier sur les récentes vagues d’arrestations. Le maréchal al-Sissi n’a pas nié l’existence de prisonniers politiques, comme lors de sa dernière interview à la chaîne américaine CBS, mais il a présenté sa version « égyptienne » des droits de l’homme, opposée, selon lui, à la « vision européenne ». « On a un million de diplômés chaque année, alors comment je dois faire pour leur trouver du travail à tous ? » s’est exclamé le président égyptien après avoir égrainé ses initiatives pour améliorer le logement, la santé et la sécurité des 100 millions d’Égyptiens. Des politiques publiques qu’il défend comme des droits humains prioritaires sur la liberté d’expression.

Journalistes égyptiens à la rescousse

Au passage, Emmanuel Macron ne s’est pas privé de révéler ses échanges avec la Défense égyptienne sur « les véhicules blindés vendus par la France qui ont été utilisés une fois dans des manifestations en 2013 », confirmant en partie l’enquête menée par l’ONG Amnesty International. Une information démentie quelques minutes après par l’ancien militaire al-Sissi.

>>Lire aussi Égypte : Amnesty International accuse la France

Pour offrir un peu de répit à leur dirigeant, deux rédacteurs en chef de quotidiens égyptiens sont venus à sa rescousse en accusant Emmanuel Macron d’avoir « changé d’avis » et de s’ingérer dans les affaires internes du pays. Attaqué sur les violences et les blessés lors des manifestations des Gilets jaunes, ce dernier s’est défendu en appuyant encore une dernière fois sur les différences entre les deux systèmes politiques. « En France, les manifestations n’ont jamais été interdites, il est permis de s’exprimer librement, c’est la force d’une démocratie. » Le principal quotidien égyptien Youm el Sabah , soumis à un contrôle étroit des autorités comme toute la presse, préfère comme citation : « Les casseurs des manifestations de Gilets jaunes ont été arrêtés et présentés devant les tribunaux. »

L’échange s’est achevé sans une poignée de main entre les deux chefs d’État. Aux premières loges avec une partie de la délégation française, l’ancien ministre de la Culture Jack Lang n’a pas perçu ces tensions et juge, au contraire, la prestation d’Emmanuel Macron « excellente et concrète, exposant une doctrine claire respectant la souveraineté de l’Égypte et les engagements de la France ». « C’était une catastrophe », soupire, en aparté, un proche des patrons français.

À défaut d’avoir charmé les autorités égyptiennes, le président français aura au moins forcé les chaînes de télévision égyptiennes à traduire en arabe plus d’une dizaine de fois les mots « droits de l’homme », lors de la transmission en direct de la conférence de presse commune.

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https://www.lepoint.fr/monde/egypte-bras-de-fer-entre-al-sissi-et-macron-sur-les-droits-de-l-homme-29-01-2019-2289606_24.php#xtmc=sissi&xtnp=1&xtcr=7

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