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 Par Ariane Lavrilleux – Le Point

Ramy Kamel, un célèbre défenseur de la minorité copte, est en prison depuis le 23 novembre dernier, accusé d’être lié à une organisation terroriste.

Il est 1 heure du matin passée ce 23 novembre quand sept hommes armés défoncent la porte de l’appartement familial de Ramy Kamel, dans le quartier populaire de Warraq, au cœur de la capitale égyptienne. L’activiste de 33 ans est roué de coups jusqu’à ce qu’il accepte de livrer son téléphone et le mot de passe de son compte Facebook. Ce récit n’émergera que le lendemain, lorsqu’il parviendra à échanger quelques mots avec ses avocats, face au procureur de la sûreté d’État. Connu pour sa défense de l’héritage et de la langue copte, Ramy découvre alors qu’il est accusé d’appartenance et de financement d’une organisation terroriste, de diffusion de fausses informations et de troubles à l’ordre public pour mauvais usage des réseaux sociaux.

« On ne nous a dit ni le nom de sa supposée organisation terroriste ni son objectif », indique son avocat, Saïd Fayez, qui s’est aussi vu « refuser l’accès au dossier contenant, selon le procureur, des captures d’écran Facebook et 52 reçus comptables ». Placé en détention provisoire pour une durée inconnue, il a rejoint d’autres célèbres défenseurs des libertés comme Alaa Abdel Fattah et Ramy Shaath incarcérés dans la prison Tora, au sud du Caire. Son calvaire est une procédure banale pour le procureur général de la sûreté de l’État. Depuis la reprise en main du pays par l’armée en 2013, cet organe – chargé des enquêtes sur les menaces pour la sécurité nationale – a triplé ses poursuites, passant de 529 en 2013 à 1 739 en 2018. Les suspects peuvent être détenus pendant des mois, voire des années, sur la base d’investigations secrètes de cette « justice parallèle », selon un récent rapport d’Amnesty International.

Il dénonçait les incendies d’églises

À l’approche des célébrations de noël, durant lesquelles le président musulman Abdel Fattah al-Sissi devrait – comme chaque année depuis son élection – assister à la messe, la détention d’un des Coptes les plus célèbres et appréciés de la communauté « a mis beaucoup de gens en colère », selon Hani Azzi, ancien conseiller du pape. Deux semaines avant son arrestation, Ramy fut convoqué à l’Agence nationale de sécurité (une des branches des services de renseignements), interrogé et violemment frappé. Un avertissement, selon les proches de ce cofondateur de Maspero Youth Union, un mouvement créé à la suite des massacres de manifestants coptes par l’armée en 2011 (près du QG de la télévision situé à Maspero).

« Ils voulaient le faire taire, car il dénonçait publiquement les violences subies par les Coptes ainsi que l’absence d’enquête sérieuse à la suite de récents incendies d’églises et donc, en creux, il pointait l’incapacité des autorités à protéger les Coptes » détaille Mina Thabet, un ami et chercheur basé à Londres. Ces dernières semaines, trois églises au Caire et dans le Delta du Nil ont été en partie ravagées par les flammes, à cause des courts-circuits électriques selon les services de sécurité. Une version mise en doute par des prêtres et fidèles, marqués par la dernière vague d’incendies criminels d’une quarantaine d’églises en 2013, et pour lesquels la plupart des enquêtes n’ont pas abouti. Malgré les menaces des services de sécurité, Ramy a continué de s’exprimer et devait se rendre à la fin du mois de novembre à un forum de l’ONU à Genève.

« Personne ne nie qu’il y a des menaces terroristes en Égypte, mais mettre en prison des voix critiques montre juste que le gouvernement est plus pressé d’écraser les dissidents que de lutter contre le terrorisme. C’est tout de même fou que Ramy soit victime de la loi censée poursuivre les terroristes qui attaquent la communauté qu’il défend ! » s’insurge Mina Thabet, qui fut lui aussi arrêté et détenu pendant un mois en 2016, en vertu de cette même législation qui offre une définition très large du terrorisme. Les Coptes sont parmi les principales cibles des attaques de l’organisation État islamique, qui a tué près d’une centaine de chrétiens égyptiens depuis son apparition.

Mobilisation sur Internet et prières

Au moins deux autres Coptes actuellement en prison sont accusés d’activités terroristes. Khaled Rizk, militant en faveur des droits des travailleurs, est visé par l’enquête secrète numéro 1475 qui incrimine également Ramy Kamel. Selon le site d’information confessionnel américain Religion News, un jeune copte de 25 ans, Fady Samir, a quant à lui été embarqué dans la rue à la suite de brefs rassemblements anti-Sissi, qui avaient déclenché plusieurs vagues d’arrestations à l’automne. En 2017, Andrew Wassif était le premier Copte à être condamné par un tribunal pour incitation au terrorisme via les médias sociaux, rappelle l’institut du Caire pour les études des droits de l’homme.

Face à cette escalade de la répression, le clergé copte reste mutique. La ligne officielle reste celle édictée par le pape Tawadros, lors de ses rares apparitions publiques : soutien total au maréchal Al-Sissi. Mais sur les réseaux sociaux et groupes communautaires, les appels à la libération de Ramy Kamel se multiplient. Les témoignages de soutien viennent autant des campagnes déshéritées que des cercles de jeunes militants urbains, selon ses proches. Fait rare, plusieurs prêtres lui ont dédié des prières à la demande de fidèles, dans des églises du Caire, Alexandrie et en Haute-Égypte.

 Le père Sila Abdel Nour priant pour “notre frère Ramy Kamel”, dans l’église du 6th Octobre dans la banlieue du Caire.© Photo postée sur le réseau Facebook

« Beaucoup de Coptes sont conscients que le gouvernement égyptien ne les protège pas et ne cherche pas à ce qu’ils soient traités comme des citoyens égaux ; ils savent également que leur Église ne parle pas pour eux, mais comme c’est un sujet extrêmement sensible, personne ne veut contredire les chefs spirituels », analyse Lindsay Griffin, directrice de Coptic Solidarity, qui a lancé une campagne de soutien en ligne pour interpeller les autorités égyptiennes. Cette ONG indépendante et basée aux États-Unis estime que malgré l’amélioration de la sécurité générale sous la présidence d’Al-Sissi, les attaques et violences quotidiennes visant spécifiquement les Coptes sont plus nombreuses que sous le règne d’Hosni Moubarak et même de l’éphémère président islamiste, Mohamed Morsi (au pouvoir entre 2012 et 2013 et mort en détention en 2019).

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