In Selected Opinion

Par Faraj Benoît Camurat – Le Figaro

Voilà cinq ans, les djihadistes de l’État islamique envahissaient la plaine de Ninive, persécutant les minorités chrétiennes et yazidies. La région est certes libérée depuis deux ans, mais la reconstruction et la réconciliation sont tout sauf achevées, raconte Faraj Benoît Camurat, directeur général de Fraternité en Irak*.

La surprise, l’effroi, l’horreur. Les mots peinent à décrire ce qu’ont vécu il y a cinq ans les centaines de milliers de chrétiens et yazidis du nord de l’Irak surpris en pleine nuit par l’invasion de Daech. Au crépuscule du 3 août 2014 commençait ainsi une longue nuit de l’humanité. Dans leur volonté de «purifier» l’Irak de ses «apostats», les djihadistes ont d’abord ciblé la région yazidie de Sinjar. Des milliers d’hommes ont été massacrés, des milliers de femmes enlevées pour être réduites en esclavage, les enfants «rééduqués» pour devenir les futurs «lionceaux du califat». Un génocide. Dans la nuit du 6 août, les combattants de l’organisation État islamique ont ensuite avancé dans la plaine de Ninive. En quelques heures, ce sont 120.000 chrétiens mais aussi des yazidis et des Kakaïs qui ont fui dans un chaos indescriptible. Quatre petits jours auront suffi à Daech pour faire voler en éclats la fragile mosaïque de communautés qui vivaient dans le nord de l’Irak.

Cinq ans après ce mois brûlant d’août 2014 et deux ans après la libération de la région et la défaite militaire de Daech, la plaine de Ninive comme la région de Sinjar pansent leurs plaies et reprennent vie. Mais le plus dur reste à faire car les exactions djihadistes conjuguées au poison lent de l’idéologie de Daech ont profondément divisé les Irakiens.

Dans la région de Sinjar, certains villages yazidis sont encore abandonnés, tandis que, dans la ville elle-même, moins de 10 % des habitants sont revenus. Sinjar a été à moitié détruite par les violents combats pour sa libération. Plusieurs centaines de familles yazidies vivent toujours dans des camps de tentes dans les monts Sinjar ou dans la région autonome du Kurdistan. Ces rescapés, en plus de conditions de vie précaires, sont face à l’impossibilité de faire leur deuil. Près de 1500 femmes yazidies enlevées par Daech et présumées vivantes ne sont toujours pas revenues tandis que leurs tortionnaires n’ont pas été jugés.

Le germe de la méfiance

À Qaraqosh, ville au centre de la partie orientale de la plaine de Ninive, 25.000 personnes sont revenues, bien plus que ce qui était anticipé. La cité chrétienne retrouve peu à peu sa dynamique, mais la région a vu sa démographie changer. Ainsi, à Bartalla, le retour massif des Shabaks, une communauté chiite, donne l’impression aux chrétiens, moins nombreux à s’y être réinstallés, d’être mis en minorité. Au nord de Mossoul, à Tell Keff, ce sont des sunnites déplacés qui se sont installés là où vivait, avant Daech, une importante communauté chrétienne. De peur d’être mal accueillis par ces nouveaux voisins, seules 40 familles chrétiennes y sont revenues. Elles étaient 300 avant 2014. Quant à Mossoul, beaucoup des chrétiens qui y vivaient avant la conquête de la ville par les djihadistes ne veulent pas y retourner pour l’instant.

En réalité, Daech a semé dans la société irakienne le germe terrible de la méfiance et de la haine de l’autre. Sa défaite territoriale ne doit pas masquer la persistance de son idéologie. Ces dernières semaines, cette menace a pris la couleur noire des panaches de fumée qui s’élèvent des champs de blé criminellement incendiés dans toute la région juste avant la récolte. Au sud de Sinjar, les flammes sont arrivées jusqu’aux maisons du village d’origine de la lauréate du prix Nobel de la paix, Nadia Murad, une ancienne prisonnière de Daech qui s’était échappée. Tout un symbole. Dans la plaine de Ninive, les rumeurs accusatrices les plus folles courent derrière les incendies accusant tour à tour chrétiens, sunnites, Shabaks ou Kurdes d’être les pyromanes. Quoi qu’il en soit, ces brasiers sont le rappel que la réconciliation est un processus long qui ne se décrète pas.

La reprise de l’activité économique dans la plaine de Ninive entraîne un regain de relations entre les communautés et constitue un premier pas pour surmonter la barrière de la méfiance

Heureusement, les signes d’espoir et de collaboration entre communautés sont présents. La reprise de l’activité économique dans la plaine de Ninive entraîne un regain de relations entre les communautés et constitue un premier pas pour surmonter, dans la vie quotidienne, la barrière de la méfiance. C’est cet éleveur de poulets chrétien de Qaraqosh qui approvisionne aussi bien les chrétiens que les musulmans ou encore ce laveur de voitures yazidi de Bashiqa qui emploie un sunnite: de tels exemples se multiplient à mesure que l’économie redémarre. C’est pour cette raison que, depuis deux ans, Fraternité en Irak mène un programme de relance économique qui a déjà permis à 97 petites entreprises de se relancer, de créer près de 300 emplois et de susciter autant d’occasions d’échanges, de contacts entre habitants de la plaine de Ninive.

Cinq ans après la chute de Sinjar et de la plaine de Ninive, l’Irak et le sort de ses minorités ont disparu des radars médiatiques. Nombre d’entre nous s’imaginent que le problème est réglé puisque Daech a été annoncé vaincu. C’est pourtant maintenant qu’il nous faut agir avec énergie pour la reconstruction des villes, bien sûr, mais aussi des hommes et du tissu social irakiens. Il s’agit là de projets souvent moins spectaculaires que de l’aide d’urgence mais indispensables pour, qu’un jour, la page de Daech puisse être enfin tournée.

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* ONG française qui aide les chrétiens et les autres minorités religieuses d’Irak à vivre dans leur pays.

http://premium.lefigaro.fr/vox/monde/cinq-ans-apres-l-invasion-de-daech-les-chretiens-d-irak-entre-craintes-et-espoirs-20190806

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