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Par Jenna Le Bras – Le Figaro

Après l’attentat qui a fait 17 morts à l’église Saint-Marc d’Alexandrie, le dimanche des Rameaux, les coptes se disent prêts à payer le prix de leur foi.

Alexandrie, d’habitude claire et ensoleillée, a été mise sous cloche. Le soleil est bas, la mer chahute entre le cobalt et le marine, et les drapeaux égyptiens sont en berne. Impertinente, la vie a quand même repris son cours normal. Les Klaxon s’élèvent dans la ville et les marchands de foi ont ouvert leurs petites échoppes sur l’avenue principale comme à l’accoutumée.

«J’ai peur», assure pourtant Mariam, qui arbore au-dessus d’un petit pull noir une croix en argent. «J’ai commencé à la porter récemment, c’est devenu un besoin identitaire, explique-t-elle. Je me suis toujours sentie discriminée et menacée dans ma vie de tous les jours, mais, aujourd’hui, ça prend des proportions bien plus importantes. On n’est pas sous une menace comparable à celle de la Syrie ou de l’Irak. C’est un danger plus informel, c’est terrifiant.»

Larmes et douleur

Au détour d’une rue animée, des policiers en armes forment des cordons de sécurité. Le périmètre de l’église Saint-Marc, touchée par l’attentat suicide qui a fait 17 morts et une quarantaine de blessés le dimanche des Rameaux, est entièrement bouclé. Seuls les fidèles habitués des lieux ont le droit de se rendre à la messe. Les habitants vivant près de l’édifice religieux ont interdiction de recevoir et sont minutieusement fouillés à chacun de leurs déplacements. Des mesures qui s’appliquent à toutes les églises des grandes villes du pays: dans la journée, le ministère de l’Intérieur égyptien a annoncé avoir tué 7 hommes qui s’apprêtaient à commettre de nouvelles attaques contre des lieux de culte chrétiens.

Au volant de son microbus qui file sur la corniche de la ville balnéaire, Peter reconnaît être «terrorisé». «Je suis très triste pour tous ces gens qui sont morts, pour nos enfants aussi, qui doivent grandir dans cet environnement et qui sont témoins de drames comme ceux-là.» À une vingtaine de minutes de là, l’horreur fait un bruit distinctif: celui des sanglots et des voix éraillées par la douleur. Elle a un visage aussi, celui de Samira, 7 ans. «Papa est parti au paradis, il viendra bientôt nous chercher», murmure-t-elle. Sur ses genoux, elle caresse de ses petits doigts d’enfant une blouse de mauvaise facture tachée de rouge. «C’est ma chemise avec le sang de mon fils, souffle son grand-père. Je l’ai pris dans mes bras quand il est mort.»

De grosses larmes inondent les rides qui marbrent le visage du vieil homme. «Les responsables paieront, Dieu se chargera d’eux», gémit-il. À ses côtés, la veuve s’exclame: «Ils essayent de nous faire peur pour qu’on s’éloigne de Dieu! Mais on sera les premiers à aller à l’église et les premiers à aller prier! Même si on nous arrête dans la rue et nous demande de nier le Christ, on sera prêts à mourir pour notre foi et on continuera à être martyrisés !»

«Nous avons peur»

Pour Mina Thabet, chrétien et militant pour les droits des minorités en Égypte, ce discours est très représentatif de l’état d’esprit copte. «Cela fait six ans que nous subissons cette violence», explique-t-il, rappelant un attentat similaire qui avait tué 21 personnes dans une cathédrale d’Alexandrie en janvier 2011. «Cela fait six ans que nous perdons des vies à chaque date importante. Est-ce qu’on peut mettre des mots sur ce qu’on ressent? Non, il n’y a pas de mot pour exprimer cela. Nous avons peur, c’est tellement humain, mais cela ne veut pas dire que les coptes arrêteront de pratiquer leur culte, bien au contraire. Cela fait partie de la foi chrétienne et les coptes continueront à la défendre.» Pour Mariam, l’identité copte est devenue une revendication en soi: «J’ai le sentiment que le seul fait d’être chrétienne est une prise de position, et, pourtant, je ne suis pas particulièrement religieuse», assure-t-elle.

«Ça nous rassure de nous dire que nos morts sont élevés au statut de saints ou de quelque chose qui s’en rapproche»   Mariam

Dans le discours, la douleur et la peur sont aussi indéniablement teintées de fatalisme. «Notre imaginaire religieux est chargé de représentations de la souffrance, notamment physique, le sang est glorifié dans toutes les images du Christ. D’une certaine manière, on voit le concept du martyre comme un acte de résistance, explique-t-elle. Ça nous rassure de nous dire que nos morts sont élevés au statut de saints ou de quelque chose qui s’en rapproche.» «Même dans mes plus beaux rêves, je n’aurais pas imaginé recevoir l’honneur d’avoir un martyr dans ma famille. Je suis fière de porter ma tristesse», avoue aussi l’épouse endeuillée. Il faut louanger ses morts. Surtout quand on n’a plus rien d’autre à quoi se rattacher. Mais si un mélange étrange de peine et d’orgueil hante les cœurs, la colère gronde aussi.

Suivre la ligne politique du gouvernement

Le lendemain du drame, les funérailles des victimes organisées au monastère de Saint-Mina, en périphérie d’Alexandrie, ont réuni une masse de chrétiens dévastés. «Pourquoi croyez-vous qu’on les a enterrés si loin de la ville ?, pointe Peter. Enterrer nos morts dans la dignité, même ça, on ne nous l’accorde pas, il faut le faire en catimini. Les autorités ont peur d’une nouvelle attaque, mais elles ont surtout peur des débordements.»

Ce jour-là, plusieurs jeunes chrétiens ont été arrêtés par les forces de police dans le centre-ville d’Alexandrie pour avoir violé la loi antimanifestations. «Moi, j’ai manifesté, on a pleuré et scandé des slogans, reconnaît le jeune homme. J’avais besoin d’exprimer ma peine et de libérer ma colère. Au monastère, la sécurité était impressionnante, il y avait des chiens policiers, des équipements pour détecter les explosifs, c’était très bien protégé, explique-t-il. On est capable de prendre de telles mesures, alors pourquoi est-ce arrivé? Si elles avaient été appliquées avant, tout ça aurait pu être évité.»

Un ressentiment qu’il faut à tout prix faire taire. Pour le bien des coptes eux-mêmes, dit-on. «Peu de fidèles ont le courage d’élever leur voix et de demander des comptes aux autorités. Il y a une pression de la part des autorités et de l’Église elle-même», note Mina Thabet. Dans un contexte de terrorisme dirigé contre les chrétiens et d’un régime bien moins solide qu’il ne veut le paraître, le pape Tawadros II n’a d’autre choix que de suivre la ligne politique du gouvernement et d’étouffer les revendications des coptes pour s’assurer de leur protection. «C’est al-Sissi ou le chaos, note Mariam. Peut-être que c’est faux, mais les coptes l’ont totalement intégré.»

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http://premium.lefigaro.fr/international/2017/04/13/01003-20170413ARTFIG00224–alexandrie-la-glorification-des-martyrs-pour-defier-la-peur.php

Photo: Un copte croise les mains en signe de défiance, vendredi, devant une église du quartier Sidi Bishr, à Alexandrie. – Crédits photo : Ben Curtis/AP

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