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Par Jenna Le Bras – Le Figaro (envoyée spéciale à Deir al-Garnous, Haute-égypte)

Les forces de sécurité sont restées passives durant le massacre vendredi de 29 chrétiens sur une route de Haute-Égypte.

Ce matin-là, le soleil dévorait le clocher blanc du monastère Saint-Samuel, dressé comme un cadran solaire dans le désert libyque. Apollo, l’un des 150 moines en retraite, s’était levé aux aurores mais avait décliné la prière avec ses frères. Depuis plusieurs jours, il se sentait mal: «j’avais une pierre sur la poitrine, un mauvais pressentiment», dit-il. La matinée s’était écoulée normalement mais Ayid Michael, le chef d’atelier du monastère, était en retard.

Depuis de nombreuses années, les moines sont réputés pour leur fonderie: ils fabriquent des cloches pour toutes les églises du pays. «Je connais Ayid depuis qu’il est tout gamin. Je lui ai appris l’art de façonner les cloches. Il a commencé comme apprenti il y a plus de vingt-cinq ans, il était tellement bon qu’il est devenu le responsable de nos maîtres saintiers», raconte le vieil homme.

Vers 11 heures, le maigre verger brûlait déjà dehors mais les ouvriers n’avaient toujours pas passé le portique du prieuré. «Ce n’était pas normal, je suis sorti voir s’ils étaient sur la route.» L’homme en coule noire marche un long moment dans la montagne lorsque son téléphone capte un réseau téléphonique, absent dans tout le reste du domaine. «Mon mobile a sonné. Au bout du fil, un officier m’a dit: il est mort, ils les ont tous tués. J’ai hurlé, je suis tombé dans un trou noir.»

À quelques kilomètres de là, le pick-up des fondeurs est tombé dans un guet-apens. Une dizaine d’hommes masqués est arrivée par le désert et a arrêté, sur la route sablonneuse qui mène au monastère, trois véhicules qui se rendaient chez les moines. Un premier bus de fidèles qui voulaient passer le week-end à Saint-Samuel pour baptiser un de leurs garçons, une seconde voiture remplie d’enfants et le véhicule des ouvriers.

Personne n’a appelé d’ambulance

C’est le fils d’Ayid, Marco, 14 ans, qui a réussi à donner l’alerte au village de Deir al-Garnous, d’où sont originaires 9 des ouvriers. «On était à la maison en train de prendre le petit-déjeuner quand mon mari m’a appelée, raconte Hannan, mais quand j’ai décroché, c’était mon fils. Il m’a dit “maman, aide-nous, ils sont en train de nous tuer!”», s’étrangle la femme voilée de noir.

«Les terroristes les ont abattus, un par un. Ils sont restés 45 minutes sur place pour s’assurer qu’ils avaient bien tué tout le monde»

La famille alerte le voisinage et saute dans une voiture. «Quand on est arrivé, on a trouvé un camion de police garé au début du chemin qui mène au monastère. Ils nous ont dit: “N’y allez pas, ça tire!” On leur a répondu: “Ce sont nos maris et nos fils là-bas, vous voulez qu’on les abandonne?” Puis on a entendu des tirs au loin.» La famille force le passage, suivie par Emad, un chauffeur arrivé peu après, alerté par des habitants de Maghagha, la ville voisine. Sur son téléphone, il montre les photos qu’il a prises en arrivant sur les lieux: des corps traînés dans le sable, face contre terre dans un sang déjà noirci par la chaleur de la fin mai. «Ils étaient déjà tous presque morts. On a trouvé une femme blessée, réfugiée sous un siège du bus. Elle nous a raconté qu’ils ont été arrêtés sur la route par des hommes en uniforme. Au début, ils ont cru que c’était un contrôle de papiers. Les terroristes ont abattu le chauffeur puis ont demandé aux hommes de descendre. Ils les ont alignés et leur ont demandé de prononcer la Chahada(profession de foi musulmane, NDLR). Ils ont répondu: “Nous vivons chrétiens, nous mourrons chrétiens”. Ils ont montré leur croix tatouée sur leur poignet et les terroristes les ont abattus, un par un. Ils ont ensuite demandé aux femmes de descendre à leur tour. Elles ont refusé, alors ils ont tiré à l’aveugle sur les mères et les enfants. Ils sont restés 45 minutes sur place pour s’assurer qu’ils avaient bien tué tout le monde.»

Lorsqu’ils retrouvent les victimes, aucun policier ne s’est encore aventuré sur la scène de l’attaque. Personne n’a appelé d’ambulance. «Ils n’ont rien fait. Ils avaient entendu la première attaque et ils ne sont pas intervenus!» s’insurge Hannan. «La police était à moins de 4 km. Notre village est à deux heures de route, on est arrivé avant eux! Tous ces checkpoints, c’est juste pour faire le show. On nous protège soi-disant mais ils y mettent des petits conscrits qui ne peuvent rien faire!»

Son mari, encore vivant lorsqu’elle arrive, meurt quelques instants plus tard, dans la voiture qui l’emmène à l’hôpital. Ses deux fils sont les seuls à avoir survécu parmi la quarantaine d’enfants présents.

Soumision aux autorités

À Deir al-Garnous, des funérailles et des prières funèbres ont été organisées pendant les trois jours qui ont suivi le drame. L’église du village n’a pas désempli et les évêques de toute la province ont fait le déplacement pour rendre hommage aux martyrs et apaiser la communauté.

La Haute-Égypte, bastion chrétien qui abrite deux tiers des coptes dans un pays à majorité musulmane (92%) est habituée aux violences sectaires et aux règlements de comptes entre voisins de confessions différentes, mais c‘est la première fois qu’une tuerie de masse est revendiquée par l’organisation de l’État islamique. «On a souvent des bagarres, des maisons et des églises qui brûlent car on est entourés de salafistes extrémistes, raconte Emad, mais ça, c’est la première fois.»

«Il faudrait remercier al-Sissi de quoi au juste?»

Dans la grande cour de la cathédrale, une centaine de bancs ont été installés pour permettre aux habitants du coin de venir se recueillir. Dans les rues adjacentes à l’édifice, des points de contrôle civils filtrent les allées et venues. Pourtant, lorsque l’on demande à l’évêque de Maghagha, Anba Agathyon, si les chrétiens ressentent le besoin de se protéger par leurs propres moyens, il assure le contraire: «Les coptes refusent de faire leur propre police, l’État fait ça très bien. Notre gouvernement fait un très bon travail. Il protège tout notre territoire et tous ses citoyens, les coptes comme les musulmans», assure-t-il. «Le civil qui porte une arme est un terroriste. Les seuls autorisés à en posséder, c’est l’État», insiste-t-il. Pourtant, devant l’église, des hommes enturbannés font bien le guet avec des kalachnikovs. «Les gens sont très tristes, en colère, déçus mais l’État apporte des réponses fortes et positives, il faut remercier notre président», assure le religieux qui a pleine autorité sur les fidèles de la région.

«Les chrétiens sont massacrés et pendant ce temps, des gentillesses sont échangées entre notre Pape et al-Sissi et nous, on est coincés au milieu!», s’énerve Girgis, le beau-frère d’Hannan, agacé par tant de soumission aux autorités. «Il faudrait remercier al-Sissi de quoi au juste?», lâche la veuve. «De bombarder la Libye pour se venger?»

À défaut de savoir protéger les chrétiens en amont des attaques, le pouvoir égyptien a pour habitude d’apporter des réponses sécuritaires symboliques mais aussi très controversées. Après les explosions de Tantah et Alexandrie, Abdel Fatah al-Sissi avait déclaré l’état urgence dans tout le pays. Samedi, l’aviation égyptienne a effectué plusieurs bombardements à Derna en Libye, contre des camps d’entraînement par lesquels seraient passés les responsables de l’attaque de vendredi selon l’état-major égyptien. «Ces criminels, ils sont bel et bien d’ici, rappelle Hannan, notre pays est rempli de terroristes!»

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Photo: L’affliction des voisins et parents des victimes du massacre  lors des funérailles à la cathédrale copte Deir al-Garnous, le 26 mai. – Crédits photo : MOHAMED EL-SHAHED/AFP

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